O. Meuwly (dir.): Le Congrès de Vienne et le Canton de Vaud 1813-1815

Cover
Titel
Le Congrès de Vienne et le Canton de Vaud 1813-1815.


Herausgeber
Meuwly , Olivier
Reihe
Bibliothèque historique vaudoise
Erschienen
Lausanne 2017: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
412 S.
von
Jean-Claude Rebetez; Damien Bregnard

Parmi les nombreuses publications récemment parues en Suisse portant sur les années 1814-1815 et le Congrès de Vienne, le recueil publié sous la direction d’Olivier Meuwly occupera une bonne place. Ce fort volume comporte en effet les articles de 25 auteurs, répartis en cinq chapitres thématiques, précédés d’une précieuse chronologie. La première partie expose le contexte suisse et international, en faisant une place éminente à la Russie, au tsar Alexandre Ier, grand ami de la Suisse et du canton de Vaud, et à ses proches. Spécialiste de l’histoire russe, M.-P. Rey ouvre le volume avec un article sur le Congrès de Vienne et le nouvel ordre international européen où elle détaille les buts poursuivis par les Puissances (Russie, Autriche, Grande-Bretagne, Prusse, bientôt rejointes par la France) et les résultats du Congrès, dont l’historiographie actuelle a réévalué les mérites. Certes, la volonté de stabilité et la défense des intérêts des Puissances a éclipsé le droit des peuples, mais le Congrès a aussi imposé de nouveaux principes (équilibre et légitimité) et le primat des traités sur la force – tout en assurant près d’un siècle de paix. Il a aussi très bien traité la Suisse, comme le montre M. Schulz, qui replace la question helvétique dans le contexte européen des années 1813 à 1815 et présente lui aussi une synthèse renouvelée par les recherches récentes, y compris sur la question de la neutralité. La chronologie des événements en Suisse à partir de la chute de Napoléon montre que le pays est déchiré par des forces centrifuges, et menacé par la volonté de restauration des cantons patriciens, en particulier Berne, qui revendique la restitution de ses sujets vaudois et argoviens. Malgré leurs divergences, la Russie et les Alliés assurent la stabilité du pays et imposent les frontières actuelles de la Suisse, qu’ils sauvent de la guerre civile. Le résultat sera très loin d’une restauration de la Confédération d’avant la Révolution. Sur la base essentiellement de sources russes, deux chercheurs, A. Andreev et V. Smekalina, détaillent ensuite la diplomatie d’Alexandre et de ses collaborateurs à l’égard de la Suisse.La deuxième partie porte un titre très générique, « Les nouveaux cadres intellectuels », et on y traite de sujets aussi différents que le début du philhellénisme (M. Bouvier-Bron), le voyage romantique (A. Devanthéry), la Société des Idéologues dont La Harpe et Benjamin Constant furent membres et qui exerça une influence politique internationale (W. Yoakim), ou le ralliement à Napoléon de Benjamin Constant durant les Cent-Jours (L. Burnand montre que Constant ne « retourne » pas sa veste, mais qu’il voit alors en Napoléon le meilleur défenseur des idées libérales).

La troisième partie, « Le Canton de Vaud dans la tourmente », fait une large place à l’histoire des hommes et à leur influence. C’est donc logiquement qu’il s’ouvre par la contribution d’O. Meuwly portant sur les combats menés par Henri Monod et Frédéric-César de La Harpe en faveur de l’indépendance du Canton de Vaud soutenue par le tsar et la majorité des cantons, mais menacée par les revendications de Berne (appuyée par l’Autriche, l’Angleterre et la France). Pour Meuwly, la complémentarité des caractères et des fonctions des deux hommes a joué un rôle capital dans ce combat. G. Andrey présente le rôle joué par un personnage trop peu connu, le Vaudois Jean Marc Mousson, chancelier fédéral, puis de la Confédération, de 1803 à 1830. Habile et diplomate, Mousson collabore étroitement avec le landammann zurichois Reinhard pour contrer les menées bernoises, bien qu’il soit proche des milieux aristocratiques (voir l’article de D. Tappy). S. Rial traite justement du rôle de l’aristocratie vaudoise dans ces années clés : celle-ci, bien qu’attachée à Berne, se montre toutefois majoritairement favorable à l’indépendance cantonale ; par ailleurs, elle est trop divisée et marginalisée pour imposer ses intérêts à l’intérieur du Canton et elle disparaîtra des affaires publiques au profit des élites politiques issues de la Médiation. A.-J. Rapin souligne la difficulté à évaluer le rôle joué par le général Jomini dans la préservation de l’indépendance vaudoise.

La quatrième partie, « Une vie vaudoise », est très éclectique, passant des aléas de l’enseignement de la philosophie à Lausanne, qui tend à s’effacer sous la Restauration (F. Félix), à la création d’une des premières caisses d’épargne en 1814 (G. Ghiringhelli), à l’analyse du destin matrimonial d’une jeune femme de la classe supérieure (Frédéric Sardet), ou au sort des abbayes et sociétés de tirs (G. Marion montre qu’elles fleurissent sous la Médiation en lien avec le mouvement patriotique vaudois, alors que le gouvernement suspend les fêtes de tirs dans les années 1814-1815 pour éviter des incidents avec les troupes autrichiennes puis confédérées). D’un point de vue plus politique, le tableau des prisons vaudoises et de leurs détenus « d’opinion » brossé par Ch. Vuilleumier semble confirmer l’impression que la réunification avec Berne n’a plus guère de partisans dans la population vaudoise (contrairement à l’époque du Canton du Léman, voir l’article de D. Tosato dans le DHS). D. Tappy détaille avec clarté et sa précision coutumière les circonstances de la rédaction et le contenu de la constitution du 4 août 1814. Celle-ci fait l’objet de lourdes pressions des Puissances, surtout des Autrichiens, qui obligent le gouvernement vaudois à des concessions (hausse du cens électoral, etc.), mais le recul de la démocratie et les nouvelles règles n’ont guère servi aux aristocrates qui les avaient réclamées. Le très intéressant article d’A. Johner conclut cette partie avec une étude centrée sur la ville de Payerne, où l’autrice voit de nouvelles familles apparaître dans le champ politique en 1798 et s’y maintenir après la Restauration. L’indépendance est le point de départ d’un processus de polarisation politique qui aboutit à l’émergence de milieux distincts ne partageant pas la même vision du monde et qui s’opposent jusque dans leurs comportements sexuels : les conceptions prénuptiales sont ainsi bien plus fréquentes chez les progressistes que chez les conservateurs.
La cinquième partie porte sur les affaires militaires et le destin de régions voisines du Canton de Vaud. J. Stüssi-Lauterburg dresse un portrait coloré d’une Suisse menacée par les Alliés et incapable d’empêcher l’invasion de son territoire à la fin de 1813, au moment où les armées autrichiennes de von Bubna, s’apprêtant à envahir la France, occupent Genève (J.-J. Langendorf). D. Auberson et A.-J. Tornare rappellent la peu glorieuse invasion de la Franche-Comté par les troupes suisses en juillet 1815, dernière incursion helvétique en territoire étranger. Les cas de Genève (I. Herrmann) et du Valais (J.-H. Papilloud) ont ceci en commun qu’ils montrent deux cantons nouvellement entrés dans la Suisse presque à reculons. Les Valaisans sont si désunis qu’ils échappent de peu à une scission en deux États (Haut- et Bas-Valais). Les Genevois, dont les liens avec la Suisse se sont distendus depuis la Révolution, voient en elle un État pauvre ; mais conscients que l’époque des villes-États est révolue, ils cèdent aux pressions alliées qui entendent inclure Genève dans le « tampon » helvétique face à la France.

La loi du genre nous oblige à émettre quelques critiques. On passera sur les quelques coquilles, inévitables dans un tel ouvrage (par exemple les troupes autrichiennes n’entrent pas en Suisse le 20 novembre 1813, mais un mois plus tard, p. 157). Plus gênante est l’absence d’articles consacrés au Canton de Neuchâtel (pourtant voisin de Vaud) ou à l’ancien Évêché de Bâle, dont le sort n’est mentionné qu’en passant, comme compensation pour les pertes bernoises… Décidément, vu du Léman, l’Arc jurassien est encore plus loin que la Sibérie ! L’index des noms de personnes est très utile, mais il nous fait regretter le défaut d’un index des noms de lieux. Enfin, certaines thématiques auraient pu être abordées : alors que les questions militaires et le risque de guerre civile sont largement traités, on aurait par exemple aimé savoir de quelles troupes disposaient les Cantons de Berne, de Vaud et d’Argovie. De même, si la diplomatie et le rôle de la Russie sont à juste titre très développés, on reste un peu sur sa faim pour ce qui concerne les autres Puissances. Mais cela ne diminue en rien l’importance de ce volume, qui offre des synthèses de qualité et des recherches nombreuses, diverses et originales.

Zitierweise:
Jean-Claude Rebetez et Damien Bregnard: Olivier Meuwly (dir.): Le Congrès de Vienne et le Canton de Vaud 1813-1815, Lausanne : Bibliothèque historique vaudoise, 2017. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 194-197.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 194-197.

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